Dans notre article précédent, nous vous présentions 5 raisonnements fallacieux courants, intentionnels (sophisme) ou non (paralogisme). En voici 5 nouveaux :
6. La fausse analogie
Nous aimons raisonner par comparaison ou par image. C’est un procédé efficace pour vulgariser une idée complexe : Pour se figurer un atome, imaginez une planète et ses satellites qui tournent autour. L’image est très imparfaite, mais elle donne une idée.
Mais parfois, l’analogie est absurde. Exemple :
« Il y a eu 21 morts dans un attentat en Slovénie. C’est l’équivalent, en proportion, de 680 tués en France ».
L’auteur applique simplement une règle de trois sur la population slovène (2,1 millions d’habitants). Mais, selon cette logique, on pourrait tout aussi bien dire que cela est équivalent à 15 000 morts en Inde (1,5 milliard d’habitants)… ou 1 mort à Roubaix (100 000 habitants).
Le problème est que l’on transpose un taux de mortalité statistiquement non significatif (0,001 % de la population). On obtient une comparaison impressionnante, mais sans véritable sens. Une bonne image doit éclairer, pas éblouir.
« Quand il reste deux hommes dans un bar à l’heure de la fermeture, et que l’un des deux met un coquard à l’autre, ce n’est pas l’équivalent de 150 millions d’américains recevant en même temps un coup de point dans la figure. »
Jordan Ellenberg, L’art de ne pas dire n’importe quoi
7. Le faux dilemme
Soit vous êtes idiot, soit vous êtes incompétent.
Le faux dilemme (ou fausse alternative) consiste à présenter deux options comme si elles étaient les seules possibles. C’est souvent un sophisme volontaire : forcer un choix radical, couper court à la nuance.
On le retrouve dans sa version la plus caricaturale : « Tu es avec nous ou tu es contre nous. »
Le faux dilemme séduit parce qu’il simplifie et dramatise. Mais il trahit la complexité du réel, où les réponses se situent rarement en noir et blanc.
« Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot demande un esprit rare. »
Michel Rocard
8. L’erreur de composition / division
« Il a bossé chez le leader du marché. Il doit être excellent. »
« J’ai acheté Mbappé, Neymar et Messi. On va avoir la meilleure équipe du monde. »
L’erreur de composition consiste à attribuer au tout les qualités de ses parties. L’erreur de division, l’inverse : on attribue à une partie les qualités du tout.
Ces erreurs fonctionnent parce que notre cerveau aime la symétrie : ce qui est vrai “en petit” doit l’être “en grand”… et inversement. Mais la logique n’a que faire de cette tentation.
9. Les appels biaisés (autorité, majorité, émotion)
Quand la preuve fait défaut, on la remplace par un substitut. C’est le principe des appels biaisés : à l’autorité, à la majorité ou à l’émotion.
a) L’appel à l’autorité
« Près de 100 artistes ont signé cette pétition sur les réformes politiques à entreprendre. »
Il n’y a pas de raison a priori de penser que le domaine d’autorité de l’artiste lui confère une quelconque autorité sur le sujet politique. Méfiance aussi devant les formules vagues : « les experts disent », « les études montrent ». Sans source précise, impossible d’évaluer la valeur de l’autorité.
Relevons une faille plus profonde dans l’exemple suivant : « Trois Prix Nobel d’économie soutiennent cette mesure. »
Que se passe-t-il quand il existe également trois Prix Nobel qui la dénoncent ? L’autorité des sachants n’est établie que lorsqu’il existe un consensus (une forte majorité).
Napoléon : – Giuseppe, que ferons-nous de ce soldat ? Tout ce qu’il raconte est ridicule. Giuseppe : – Excellence, faites–en un général : tout ce qu’il dira sera tout à fait sensé.
Rapporté par Normand Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle
b) L’appel à la majorité
« Tous les gens raisonnables sont d’accord avec ça. ».
Il devient redoutablement efficace lorsqu’il prend une forme plus subtile : « Élu produit de l’année. »
On ne dit rien de la qualité réelle du produit, seulement qu’un groupe l’a validé — sans que l’on sache selon quels critères.
« Ce n’est pas parce qu’il sont nombreux à avoir tort qu’ils ont raison. »
Coluche
c) L’appel à l’émotion
« Après tout ce que cette victime a enduré, vous ne pouvez pas dire qu’elle a tort. »
La tentation est grande d’associer émotion et raison. Mais un raisonnement valide ne peut pas reposer uniquement là-dessus : ni la foule, ni l’expert, ni l’émotion ne remplacent une preuve.
10. Le hareng fumé
Dans Petit cours d'autodéfense intellectuelle, Normand Baillargeon raconte : « Autrefois, dans le sud des Etats-Unis, les prisonniers en fuite laissaient des harengs fumés derrière eux pour distraire les chiens et les détourner de leur piste. »
Le hareng fumé donne ainsi son nom au sophisme consistant à opérer un glissement de sujet dans la conversation. Baillargeon en offre l’illustration suivante :
Le père : - Ne joue pas avec bâton pointu, tu pourrais te blesser. Le fils : - Ce n’est pas un bâton papa, c’est un sabre laser.
La vérité vraie sur les raisonnements fallacieux
Nous pourrions continuer la liste encore un bon moment. Pour réviser, rien de tel que la masterclass d'Henri Langlois.
Chaque semaine de nouvelles connaissances pour continuer à apprendre.