Dans l’épisode précédent, nous présentions les principales méthodes de raisonnement (déduction, induction, abduction, analogie, probabilisme). Elles constituent notre plus sûr moyen d’accéder à la connaissance.
Mais il arrive (assez souvent pour certains) que nos raisonnement déraillent. Parfois de bonne foi : les logiciens parlent alors de paralogismes. Parfois sciemment, pour tromper ou manipuler : on parle alors de sophismes.
Voici quelques unes de nos erreurs les plus courantes.
1. Les prémisses fausses
Les produits naturels sont bons pour la santé. L’arsenic est naturel. Donc l’arsenic est bon pour la santé.
Dans cet exemple, la logique est impeccable. Le problème vient de la donnée d’entrée. En mathématiques, on parle du principe d’explosion (ex falso quodlibet) : on peut déduire n’importe quoi d’un énoncé faux.
Et il n’est pas nécessaire que la prémisse soit totalement fausse : une simple approximation suffit pour faire dérailler tout le raisonnement.
2. La généralisation abusive
J’ai recruté deux stagiaires de cette école. Ils n’étaient pas très débrouillards. Cette école est nulle.
Dans l’épisode précédent, nous évoquions l’induction, cette démarche scientifique qui part de l’observation pour dégager des règles générales. La généralisation abusive en est la version low cost : échantillon insuffisant, absence de méthode et de prudence.
Intentionnelle ou non, elle est omniprésente dans le débat public — avec, au moins, le mérite d’être transpartisane.
3. Corrélation n’est pas causalité
Commençons par une réalité que certains voudraient certainement nous cacher.

Eh oui, plus Nicolas Cage joue dans des films, plus les américains se noient.
Deux phénomènes qui évoluent ensemble ne s’expliquent pas forcément l’un l’autre. C’est la différence entre corrélation (ils varient en même temps) et causalité (l’un provoque l’autre).
Dans le cas du malheureux Nicolas Cage, la corrélation est purement accidentelle. Aucun lien causal démontré (à notre connaissance) entre ses films et les piscines. Si cet exemple vous amuse, allez voir le site de Tyler Vigen, qui recense des dizaines de corrélations absurdes mais frappantes.
Parfois, la corrélation est réelle mais trompeuse :
Quand mon manager m’accompagne en négociation, nous aboutissons plus souvent à un accord. Donc, c’est lui/elle qui débloque la situation.
L’erreur vient de l’oubli du facteur de confusion : mon manager assiste aux négociations surtout lorsqu’elles sont déjà bien avancées. Sa présence est liée à l’avancement… pas au déblocage.
Le piège de la fausse causalité, c’est que notre cerveau déteste le hasard. À la moindre régularité, il invente une histoire : « Si ça arrive en même temps, c’est forcément que l’un cause l’autre. »
4. Le raisonnement circulaire
On parle aussi de pétition de principe, du latin petitio principii, qui se traduit littéralement par « supposer le principe ».
Ce produit est le meilleur car il est numéro 1 des ventes. Il est numéro 1 des ventes car les clients l’adorent. Les clients l’adorent car c’est le meilleur produit.
Ici, on ne démontre rien. Le raisonnement circulaire prend des détours (ici, la performance commerciale et la satisfaction client) pour revenir à son point de départ. Ce produit est le meilleur… parce qu’il est le meilleur.
5. Non sequitur
Dans le langage moderne, on pourrait traduire cette formule latine par « je vois pas le rapport ». C’est le cas de raisonnements convaincants en apparence, mais qui cachent un saut dans le vide. La conclusion ne découle pas vraiment des prémisses, même si elle semble aller de soi.
Cette mesure est soutenue par les salariés les plus engagés. C’est donc une bonne décision.
Le problème est ici la validité du lien : l’engagement d’un salarié ne garantit pas la pertinence de son opinion. Un salarié engagé peut tout à fait défendre une mauvaise décision.
Que le lecteur nous pardonne : pour la clarté, nous avons choisi des exemples parfois grossis, qui peuvent sembler évidents. Dans la vie réelle, l’erreur est plus discrète, subtile, sournoise.
Et surtout : si nous repérons facilement les failles dans les raisonnements des autres, nous sommes beaucoup plus indulgents avec les nôtres.
Chiche d’appliquer la même exigence à nos propres raisonnements ?
Chaque semaine de nouvelles connaissances pour continuer à apprendre.