CHERCHEURS DE NORD

Le critère de réfutabilité

Où l'on vous prend d'abord pour une dinde avant de vous mettre au défi de montrer que vous avez tort.

22.07.2025

3 minutes

Jusqu'ici tout va bien (Photo de Ash Farz sur Unsplash).

Vous êtes une dinde.

Depuis votre naissance, tout se passe à merveille. Chaque matin, un type bienveillant vient vous nourrir de généreuses poignées de grains. Alors le soir, rassuré(e), vous vous endormez en pensant qu’il reviendra. Et il revient chaque jour, sans faute. La vie semble bien faite. L’avenir s’annonce comme un éternel festin.

Jusqu’au jour où, sans le moindre signe avant-coureur, le type vous attrape… et vous tranche le cou.

Nous sommes le 24 décembre.

Mais ça, vous n’en saviez rien.

« Mais euh pourquoi ?! »

Le problème de l’induction

L’histoire de la dinde inductiviste est racontée par le philosophe Bertrand Russell pour illustrer une question posée plus tôt par David Hume :

Peut-on déduire des lois générales à partir d’observations répétées ?

C’est ce qu’on appelle l’induction : inférer une règle à partir de la répétition d’un phénomène. C’est notre mode de raisonnement par défaut. Nous croyons que demain ressemblera à hier. Parce que, jusqu’ici, c’est ce qui s’est passé.

Mais Hume l’affirme : aucun nombre d’observations ne suffit à garantir qu’une règle restera valide. Le soleil s’est toujours levé ? Cela ne prouve pas qu’il se lèvera encore demain.

Les Européens pensaient que tous les cygnes étaient blancs jusqu’en 1697. Puis les Hollandais découvrent des cygnes noirs en Australie. Fin de la théorie.

Autrement dit : l’induction n’est pas une preuve, c’est une croyance. Un acte de foi.

Le critère de réfutabilité, ou comment montrer le vrai en cherchant le faux.

Dans les années 1930, Karl Popper prend acte de ce problème. Il propose une solution élégante : si l’on ne peut pas prouver qu’une théorie est vraie, on peut au moins vérifier si elle pourrait être fausse. C’est le critère de réfutabilité (ou principe de falsification).

Une théorie est scientifique si elle prend le risque d’être contredite par les faits.

Prenons Einstein. En 1915, il formule la théorie de la relativité générale, selon laquelle l’espace et le temps sont déformés par la matière. Cette théorie permet de faire de nombreuses prédictions. Il suffirait alors d’une seule observation contraire pour invalider sa théorie.

En 1919, une éclipse permet de vérifier l’une des prédictions clés. La théorie tient. Elle n’est pas « prouvée » au sens fort — mais elle a survécu à un crash-test rigoureux.

« Le progrès scientifique n’est pas constitué d’une accumulation d’observations, mais au contraire par l’élimination réitérée de théories scientifiques, remplacées par des théories meilleures ou plus satisfaisantes. »
Karl Popper

À l’inverse, croire en l’existence d’un cygne invisible et indétectable est irréfutable. Donc, non scientifique. Car rien ne pourrait jamais démentir cette théorie.

Et si on cherchait à avoir tort ?

Ce critère de réfutabilité semble pouvoir être étendu à notre quotidien.

Nous connaissons le biais de confirmation : cette tendance à chercher ce qui conforte nos croyances. Mais c’est en faisant l’inverse — en cherchant sincèrement ce qui démentirait notre opinion — que nous la mettons à l’épreuve.

C'est au reste ce qu'exprime le dicton : « C’est dans les épreuves qu’on reconnaît ses vrais amis. »

Dans Vous allez commettre une terrible erreur, le professeur Olivier Sibony analyse la prise de décision en entreprise. Pour certaines décisions d'investissement, il suggère de monter une Red Team dont la mission est de défendre la thèse contraire à celle de l'équipe défendant un projet. Le décideur peut ainsi se forger une opinion après avoir entendu deux points de vue également documentés - comme un juge ayant entendu l'avocat de la défense et le procureur.

« Ne demandez pas au coiffeur si vous avez besoin d'une coupe de cheveux. »
Warren Buffett

Trois issues

Au fond, il n’y a que trois façons d’agir avec nos croyances :

1. On les met à l’épreuve → elles résistent → elles se renforcent.

2. Elles échouent → on avance, débarrassé d’une illusion.

3. On refuse la contradiction → elles stagnent, sans qu’on sache ce qu’elles valent.

« Ce qui fait l’homme de science, ce n’est pas la possession de connaissances, d’irréfutables vérités, mais la quête obstinée et audacieusement critique de la vérité. »
Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique, 1934

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