CHERCHEURS DE NORD

La dissonance cognitive

Où l'on ne rencontre pas de petits hommes verts mais où des étudiants sont payés pour mentir.

15.07.2025

4 minutes

« Mais on a jamais vu un pharmacien fumer une cigarette avec un patch anti-tabac ! » Le Pari, 1997

La fin du monde était prévue pour l’aube du 21 décembre 1954.

C’est du moins ce que pensait Dorothy Martin, une habitante de Chicago, qui affirmait avoir reçu un message d’extraterrestres venus de la planète Clarion. Selon eux, un déluge devait s’abattre sur l’Atlantique Nord et anéantir une grande partie de l’Amérique du Nord et de l’Europe.

Partageant cette prophétie, un groupe de « disciples » se forma peu à peu. Certains abandonnèrent leurs études, leur emploi, leur argent, leurs biens, pour se préparer à embarquer à bord d’une soucoupe volante censée venir les sauver juste avant le cataclysme.

Le 20 décembre au soir, ils se réunirent donc, attendant l’arrivée imminente du vaisseau.

Mais à minuit cinq, aucune trace de la soucoupe. Le groupe convient qu’il n’est peut-être « pas tout à fait minuit ».

Les heures passent, l’angoisse monte. Certains pleurent, d’autres restent figés.

Il est 4 h 45 lorsque Dorothy Martin reçoit un nouveau message par écriture automatique : le cataclysme a été annulé. Le petit groupe, assis toute la nuit, aurait « répandu tant de lumière que Dieu a sauvé le monde de la destruction ».

Plutôt que d’admettre l’invalidité de leur croyance, la plupart des membres choisirent de croire que leur foi avait sauvé l’humanité. Leur croyance en sortit même renforcée. Dès l’après-midi du 21 décembre, ils lancèrent une campagne de communication pour diffuser leur message.

Comme un bug ...

Ces faits sont rapportés par les psychologues de Stanford, Festinger, Riecken et Schachter, dans L’échec d’une prophétie, publié en 1956. L'objet de leur étude est la dissonance cognitive.

Elle désigne un état de tension psychologique survenant lorsque nos pensées, croyances ou comportements sont en contradiction les uns avec les autres.

Réduire la dissonance

Dans sa Théorie de la dissonance cognitive (1957), Festinger affirme que l’être humain a un fort besoin de cohérence interne. Aussi, lorsqu’une dissonance se produit, il doit agir (souvent inconsciemment) pour la réduire.

« J’ai dû faire un long voyage, j’ai abandonné à peu près tout. J’ai brisé tous les liens, j’ai brûlé tous les ponts, j’ai tourné le dos au monde, alors je ne peux pas me permettre de douter : je dois croire, il n’y a pas d’autre vérité. »
Charles Laughead, membre du groupe de Dorothy Martin

Les stratégies de réduction sont multiples. Prenons une situation banale :

Notez que la solution la plus sensée serait de modifier votre croyance initiale : « Finalement, je ne connaissais pas si bien que ça le chemin. ». Mais ce n’est pas la plus simple.

Cette illustration triviale rappelle qu'il n'est pas besoin de croire aux petits hommes verts ou à la platitude de la Terre pour expérimenter la dissonance cognitive. Elle s'immisce régulièrement dans notre quotidien.

Une expérience troublante

Dans une expérience célèbre (Festinger & Carlsmith, 1959), des étudiants devaient effectuer des tâches répétitives et ennuyeuses.

À la fin, ils devaient convaincre le participant suivant que l'activité était amusante — autrement dit, mentir. Pour cela, certains recevaient 20 dollars, d’autres seulement 1 dollar.

Enfin, on demandait aux élèves d’évaluer l’activité. Résultat : ceux qui avaient reçu 1 dollar jugèrent les tâches beaucoup plus intéressantes que ceux qui avaient reçu 20 dollars.

Pour Festinger et Carlsmith, les étudiants payés 20 dollars pouvaient justifier leur mensonge par l’argent. Ceux qui n’avaient reçu qu’un dollar ne pouvaient pas. Pour préserver leur cohérence, ils durent se convaincre que l’activité n’était finalement pas si désagréable.

Renoncer à la rationalité ?

La théorie de la dissonance cognitive suggère que l’humain est moins rationnel que rationalisant. Il justifie souvent ses choix a posteriori pour préserver son équilibre intérieur.

Pour éviter de tomber dans le piège de l’auto-persuasion, une question simple peut servir de garde-fou. Demandez vous a priori :  qu’est-ce qui me ferait changer d’avis ?

Si la réponse est « rien », ce n’est plus une opinion : c’est un acte de foi.

Nous creuserons ce sujet dans le prochain épisode de Chercheurs de Nord consacré au critère de falsifiabilité (réfutabilité) de Karl Popper.

« Bien souvent nous croyons penser comme des scientifiques, alors qu’en fait nous raisonnons comme des avocats : nous défendons une thèse, pas parce qu’elle est vraie, mais parce que c’est la nôtre. »
Jonathan Haidt, chercheur en psychologie morale et sociale

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