Analyse de Giuliano da Empoli dans Les ingénieurs du chaos.
« Le 23 octobre 2019, Donald Trump, président des Etats-Unis, est en visite à Pittsburgh. Il déclare : « Nous construisons un mur magnifique dans le Colorado, très haut, qui fonctionne vraiment, vous ne pouvez pas passer par dessus, vous ne pouvez pas passer en dessous ».
Le problème est que le Colorado n'a pas de frontière avec le Mexique. Il y en a bien une avec le Nouveau-Mexique, mais celui-ci fait partie des Etats-Unis, ce qui rend l'idée d'un mur destiné à lutter contre l'immigration clandestine évidemment surréaliste.
Dans les heures qui ont suivi, journalistes et commentateurs ont rivalisé de bons mots pour s'indigner de l'ignorance du président.
A bien y réfléchir, cette gaffe absurde a permis à Trump d'atteindre quatre objectifs politiques :
- Mettre son sujet de prédilection au centre de l'actualité politique.
- Comme d'habitude, l'indignation méprisante des médias et des élites politico-universitaires a confirmé son statut d'« outsider » luttant contre l'establishment.
- Dans un monde de technocrates selon lesquels rien ne peut jamais être fait, le président a restauré la primauté du politique au point de plier la réalité et la géographie à sa volonté.
- Les fake news et les théories du complot sont de puissants vecteurs identitaires, chaque gaffe de Trump est l'occasion de galvaniser ses troupes. Pour savoir que le Colorado n'a aucune frontière commune avec le Mexique, il n'est pas nécessaire d'appartenir à une tribu politique. Pour croire que Trump construit son mur sur cette frontière inexistante, il faut être de vrais partisans.»